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Station "L'homme et le cosmos"

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dimanche 2 février 2014

Compte rendu du café philo du 31 janvier 2014 – vulnérabilité, humanité.






Nous étions quarante-huit personnes à participer à ce café philo, le vendredi 31 janvier 2014, au centre culturel de Bouffémont, sur le thème : «La vulnérabilité est-elle signe d’humanité ? » Jeannine Dion-Guérin a lu un de ses poèmes reproduit plus loin.




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Contribution de Catherine Delaunay

D'ordinaire on déplore la vulnérabilité, surtout dans nos sociétés où il faut être fort, performant pour réussir. La vulnérabilité serait plutôt un défaut.
Paradoxalement dans le sujet tel qu'il est formulé, la vulnérabilité semble plutôt réhabilitée, voire valorisée puisqu'on en fait le signe de notre humanité. Ce qui serait humain au plus haut point ce serait curieusement notre faiblesse. Autrement dit, ce qui ferait notre force d'être humain ce serait notre faiblesse. On voit que c'est assez paradoxal.
Ce sujet inclinerait vers un traitement psychologique, moral, spirituel, pourtant j'ai éprouvé le désir de donner d'abord de mettre en avant la dimension politique. Pourquoi ?
D'abord parce que dans l'histoire de nos sociétés et dans les faits, pendant des siècles on a surtout loué la force, la violence et même la puissance et la guerre tandis qu'on dénigrait la vulnérabilité parce qu'elle avait quelque chose de dégradant et d'humiliant.

1- Voyons d'abord comment l'histoire donne à voir la force des forts et le mépris des faibles. Dans le passé des sociétés antiques puis féodales, il aurait paru absurde, insensé voire incongru de considérer la faiblesse comme signe d'humanité. Par exemple dans tous les traités de droit de ces époques on s'appuie sur des principes comme « le droit du plus fort », « la loi du Talion », «le droit de vengeance », « le droit de domination », « de conquête », « d'esclavage » dans l'antiquité, ou de « servage » au Moyen Age, « droit d'occupation des terres »  ou « droit de déclarer la guerre ». Tous ces principes allaient de soi, la force faisait droit. Il semblait naturel que des minorités de puissants asservissent les peuples. Les empires, les tyrannies, les oligarchies, les systèmes aristocratiques et monarchiques étaient la règle. La démocratie athénienne fut une des rares exceptions de cette époque.
Et probablement la force des forts, des tyrans, des princes était enviée et enviable, ce n'est donc pas étonnant si quelques penseurs ont pu justifier dans les idées ces faits par des arguments. Ce sont par exemple les sophistes qui au 5 et 4ème siècle avant JC, eux qui se targuaient d'enseigner la sagesse aux futurs hommes politiques grecs, démontraient qu'il était dans la nature des choses que les forts écrasent les faibles. Le modèle animal ne nous enseigne-t-il pas que les gros poissons mangent les petits ? Pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'homme ?
Au 16ème siècle un philosophe comme Machiavel explique que la fin justifie  tous les moyens, y compris les plus cruels, et le Prince se fait renard comme lion, c'est à dire qu'il use de la ruse et de la force coute que coute pour se maintenir au pouvoir.
Au 17ème Hobbes, philosophe anglais, justifie de la même manière l'absolutisme. L'homme est un loup pour l'homme et donc les êtres humains recherchent avant tout leur conservation, leur sécurité car ils se craignent les uns les autres et sont donc prêts à se soumettre au régime le plus autoritaire et le plus puissant pour se sentir protégés quitte à aliéner leur liberté. Donc dans le passé le plus lointain et pendant longtemps la force était reine.

2-Pourtant très tôt et simultanément des voix s’élèvent dans la littérature et la philosophie pour affirmer que la force des forts est elle même vulnérable et condamnée à se détruire, tandis que la faiblesse des faibles peut être reconnue comme une valeur et éveiller une certaine compassion.
Par exemple Jacqueline Romilly, qui a beaucoup travaillé sur la Grèce, remarque que déjà dans l'Iliade et l'Odyssée, qui date probablement du 7ème siècle avant JC Homère note l'idée que la vulnérabilité peut inspirer la pitié. Achille vient de tuer Hector ; le vieux roi Priam vient demander le corps d' Hector, son fils, Achille accepte, fait laver le corps du défunt et demande que la bataille soit suspendue le temps que le roi ramène le corps de son fils à Troie.
De même rappelle De Romilly, les Tragiques grecs ont été sensibles au dénuement de l’homme, Sophocle fait dire à Œdipe (dans la pièce Œdipe à Colone) au vers 393, « c'est quand je ne suis plus rien que je deviens un homme ». Pourquoi ? Parce que quand on est démuni de tout, on est réduit à l'essentiel, on se définit alors non plus par ses rôles, ses possessions, ses statuts mais par son âme, par son cœur, et c'est là le plus important, c'est ce qui constitue notre humanité.
Socrate au 5ème siècle avant JC évoque souvent le conflit entre la force et la faiblesse et contre les sophistes il prend le parti de la faiblesse avec plusieurs arguments;
-la force n'est jamais assurée de triompher, et de durer. Viendra toujours un plus fort pour balayer le premier, donc la force est condamnée à périr.
-la force prise dans un engrenage, conduit à un certain dérèglement. Le tyran devient l'esclave de ses passions, ses désirs. Il veut toujours plus, toujours plus conquérir de terres et c'est ainsi que les royaumes les plus puissants s'effondrent et se désagrègent. Que ce soit Napoléon ou Hitler, ils illustrent assez bien le propos de Socrate dans des temps plus proches.
-L'homme ne peut être comparé à l'animal comme le croyaient les sophistes. Si l'animal va aussi loin que ses forces le poussent, l'homme au contraire, et c'est son honneur, est capable de résister à l'attrait de la force et c'est cet honneur qui définit l'humanité selon Socrate.
-Enfin les forts ont besoin des faibles pour assurer leur domination. Par exemple les hommes libres d'Athènes qui ne voulaient pas travailler avaient besoin d’esclaves. Les forts deviennent dépendants des faibles. Plus tard Hegel dans sa « dialectique du maitre et de l'esclave », montrera que c'est cette dépendance qui entraine nécessairement un renversement le jour où les faibles par leur travail prennent les commandes d'une société qui n'a plus besoin des forts. Les maitres deviennent les esclaves des anciens esclaves. Les esclaves deviennent les maitres. Marx retiendra la leçon dans le concept de lutte des classes quand il imaginera qu'un jour le prolétariat pourra remplacer la bourgeoisie.

3-Ainsi l'histoire peut s'inverser et il n'est donc pas étonnant que progressivement l'histoire ait mis en marche la force des faibles. Les faibles, les vulnérables, les opprimés, les miséreux pourraient prendre le pouvoir et devenir un modèle d'humanité. On pourrait dire que la force des faibles aujourd'hui s'est imposée partiellement dans l'histoire selon différents modes. Premièrement les faibles ont la force du nombre, les masses, les peuples, les majorités silencieuses, l'union fait la force, Marx dira au début du communisme, « Prolétaires de tous les pays unissez vous » et c'est ainsi que les révolutions peuvent se produire
Deuxièmement ils ont la force psychologique, ils sont contraints de se battre pour exister ; les vulnérables inspirent pitié, ils suscitent des sauveurs, de l'empathie, de la compassion, ils n'éveillent pas le soupçon, ils n'éveillent pas la peur, on ne les craint pas, au contraire ils rassurent, ils peuvent agir avec une certaine marge de manœuvre.
Troisièmement, surtout ils ont la force légale, la loi, le droit pour eux, la Justice est la force des faibles. Le Suffrage Universel est leur revendication. Ils revendiquent le partage du pouvoir. Voilà pourquoi un auteur comme Nietzsche a accusé la démocratie d'être par excellence le régime des faibles puisque c'est un régime qui donne la parole à tous, y compris aux plus petits, un homme une voix.
- Ils représentent la force morale, la force d'âme, le courage, la force de l'effort, de la volonté, de la pensée et du discours. Ils sont considérés comme étant du côté du bien, les forts seraient du côté du mal parce qu'on les culpabilise.
Enfin ils incarnent la force spirituelle ; la plupart des religions prennent le parti des faibles, des pauvres. C'est le cas du bouddhisme, de l'Islam, du Christianisme avec le fameux texte des béatitudes : « heureux les affamés, le royaume de Dieu leur appartient ».
Le comble dans cette religion c'est que Dieu est venu dans l'humilité, la pauvreté, à travers un enfant, dans une crèche ; Saint Paul dira « lorsque je suis faible c'est lorsque je suis fort » (Épître 2, Corinthiens 12,10).

4-Aujourd'hui, que penser de cette idée ? Elle est dans l'air du temps, de nombreux livres ont paru sur ce thème. Pour terminer je voudrais revenir sur la définition de la vulnérabilité, du concept d'humanité et m'interroger sur les risques qu'on court à trop légitimer la vulnérabilité. Le mot vulnérabilité vient du latin vulnus, Vulnéris, quelqu’un de vulnérable c'est quelqu'un qui peut être blessé physiquement ou moralement. De même fragile vient du latin fragilis, qui peut se casser, se briser (fracture, fragmenter). Au fond la vulnérabilité c'est la possibilité de notre blessure physique ou morale. On peut distinguer différentes formes de vulnérabilité ; individuelle ou collective. Dans la vulnérabilité collective j'évoquerais en outre le sort d'un certain nombre de pays comme la Somalie, le Tchad, la RDC ; ou encore les castes en Indes, ou chez nous le problème des « invisibles », une nouvelle catégorie. Pierre Rosanvallon, vient d'écrire « le Parlement des invisibles », où il décrit la situation de ceux qui ne se sentent pas entendus, qui n'existent pas pour les autres, comme si leur vie ne comptait pas.
A côté de cette distinction, j'en ferais une autre : la vulnérabilité conjoncturelle et réversible, et ontologique ou métaphysique. La première est liée à une situation et peut être modifiée. Elle peut être biologique, par exemple quand Alexandre Jollien, atteint comme infirme moteur cérébral, ne peut pas marcher correctement, il dut lutter beaucoup pour être reconnu comme un homme à part entière, alors que son cerveau lui donnait une intelligence normale. C'est aussi une vulnérabilité psychologique, celui qui fait une dépression. Sur le plan économique par exemple le chômage est une vulnérabilité. Sur le plan politique, être un migrant.
A côté je pense qu'il existe une vulnérabilité universelle, métaphysique, ontologique : en tant qu'êtres humains, nous sommes vulnérables. Nous sommes tous destinés à mourir. Cette vulnérabilité nous la partageons avec le monde du vivant, sauf que nous, nous pouvons être conscients de cette vulnérabilité et nous, nous pouvons faire quelque chose de cette vulnérabilité.
Quant au mot humanité ici, notre humanité c'est ce qui fait notre essence d'être humain, ce qui nous différencie de l'animal. C'est ce qui fait notre dignité. Ce qui fait notre dignité c'est notre grandeur, notre noblesse, notre valeur. Mais en quoi réside cette noblesse. Pascal disait « il y a en l'homme quelque chose qui passe l'homme », l'homme n'est pas qu'un être biologique, il vit au niveau de la conscience, de l'esprit, de la pensée, c'est pourquoi il ajoute «  toute notre dignité consiste donc dans la pensée ». C'est la dernière chose qui nous reste quand on n'a plus rien, on peut nous retirer la vie mais au dessus de notre vie il y a la dignité. La preuve c'est que certains peuvent risquer leur vie pour leur dignité ou des idées. Pour Pascal la dignité c'est plus profondément une parcelle de divinité, un lien impalpable avec l'absolu, l'infini qui se manifeste plus encore  que dans la pensée, dans l'ordre du cœur, de la charité, l'amour, de l'amour au sens de Agapè.
Pour Kant il y a quelque chose qui est sans prix, au delà de tout prix (on ne peut pas le monnayer, l'échanger contre de l'argent) mais aussi parce que cela donne du prix à tout le reste.
Ce quelque chose n'est autre que la raison, la volonté capable de liberté, c'est cela qui est le plus précieux et qui fait notre dignité, c'est l'étalon suprême selon Kant.
Pour Lévinas, un auteur contemporain, la dignité de l'homme ne se fonde ni sur la pensée selon Pascal ni sur la raison  et la volonté libre de Kant, mais sur la vulnérabilité, c'est l'une de ses thèses, dans « Humanisme de l'autre homme » il reproche justement aux philosophes de ne pas avoir perçu cette dimension qui affleure dans la sensibilité : dans la sensibilité on se met à découvert, on s'expose, on est offert en pâture, et à qui donc ? A l'autre, à autrui, nous sommes livrés sans défenses au bon vouloir de nos semblables. La vulnérabilité introduit donc au rapport avec autrui.
C'est vrai que ce que nous sommes, nous valons, dépendent largement du regard, de l'écoute d'autrui qui peut reconnaître notre singularité, notre dignité ou la refuser. Et c'est une violence extrême qui s'abat en particulier sur notre visage, poursuit Lévinas car c'est le lieu de la rencontre avec autrui.
Un article d'Amélie Nothomb qui parle de la fragilité va dans le même sens : «la fragilité est un refus de se défendre contre la violence. La fragilité est un refus d'en découdre qui peut aller jusqu'à la destruction de soi. Avec cette conscience que la destruction de soi acceptée sera toujours moins violente que cette qui résulterait d'un combat.

Conclusion
Je voudrais dire que la vulnérabilité peut être signe d'humanité mais à plusieurs conditions. En elle même la vulnérabilité n'est pas signe d'humanité puisque le vivant est vulnérable. Il faut faire quelque chose de cette vulnérabilité chez l'homme.
D'abord il faut qu'elle fasse tout pour se dépasser, se sublimer on pourrait dire, dans le travail, dans l'art, dans la philosophie, dans l'engagement
Deuxièmement, à condition qu'on se réapproprie cette vulnérabilité, qu'elle ne soit pas simplement passive, qu'elle débouche sur une action au profit des autres.
Troisièmement qu'elle ne soit pas exploitée, instrumentalisée par les plus forts ;
et quatrièmement c'est vrai qu'elle constitue certainement notre humanité si elle nous fait prendre conscience qu'être humain c'est être capable d'assumer notre faiblesse et de résister à notre force comme le disait Socrate.

Néanmoins j'émettrais quelques réserves : la vulnérabilité n'est pas toujours signe d’humanité. Il y a des pertes, des catastrophes, qui sont insurmontables. Il y a des blessures qui sont irréparables, la perte d'un enfant par exemple. Ceux qui ont vécu la Shoah (Primo Levi, Antelme, Bettelheim) qui montrent qu'il existe des fêlures, des fractures, qu'on ne peut soulager. On ne peut l'accepter. Le danger serait de vouloir au nom de la vulnérabilité, justifier même les épreuves les plus déshumanisantes que l'humanité est capable de produire. Il faut donc manier ce concept avec prudence. Danger aussi d'être trop complaisant avec la vulnérabilité et de ne pas vouloir transformer la situation des plus faibles : illettrisme, le mal logement, la pauvreté sont aujourd'hui des vulnérabilités qu'il faut absolument vouloir soulager.
 

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Contribution de Pierre Haller
1.        Définition, de la vulnérabilité : fragilité face à la maladie ou face à l’agression externe pouvant conduire aux dysfonctionnements de gravité variable ou à la mort.
Etymologie : du latin vulnerare, blesser, endommager, entamer, porter atteinte à, faire mal à, froisser, offenser. La vulnérabilité est le caractère de ce qui est vulnérable, fragile, précaire, de ce qui peut être attaqué, blessé, endommagé.
Le terme "vulnérabilité" s'applique aussi bien à des personnes, à des groupes humains qu'à des objets ou à des systèmes (entreprises, écosystèmes, etc.). La vulnérabilité est la fragilité face à la maladie, à des infirmités, à des agressions extérieures, à des évènements personnels (deuil, divorce, déception amoureuse, etc.), sociaux-économiques (chômage, licenciement, crise économique, etc.), à des événements naturels (tremblement de terre, éruption volcanique), à des aléas climatiques.
La cindynique est la science des risques qui étudie la vulnérabilité d'un individu, d’un groupe, d’une organisation, d’un élément bâti ou industriel, d’une zone géographique. Patrick Lagadec est un spécialiste français de la gestion de tels risques.
Le talon d’Achille est une métaphore de la vulnérabilité issue de la mythologie grecque. La mère d'Achille, la nymphe Thétis, avait plongé Achille enfant dans le fleuve Styx, le tenant par le talon. Il devint ainsi invulnérable partout où l'eau avait été en contact avec sa peau, sauf au talon qui devint son point faible. C'est là que toucha la flèche de Pâris qui tua Achille. Ce thème du point faible est récurrent dans plusieurs mythologies (Siegfried, Soslan).

2.        L’homme est un animal naturellement plus vulnérable que beaucoup d’autres espèces. C’est un « singe nu ».

3.        L’homme partage avec les autres espèces animales des vulnérabilités naturelles : souffrance, maladie, handicap physiques, inégalités dans les luttes pour le territoire, pour la nourriture, pour les conjoints, pour le statut social, dans l’exposition aux violences, aux exclusions sociales, aux aléas et catastrophes de la nature. Toutes les espèces vivantes ont développé des stratégies adaptatives pour déjouer les vulnérabilités : système immunitaire, réparation des blessures, protection des nourrissons, vie en groupe, identité collective, « intelligence » collective, défense du territoire, provisions et diversification de la nourriture.

4.        L’homme possède cependant des avantages qui parent et transforment ses vulnérabilités : intelligence grâce à un cerveau surdimensionné, capacité d’anticiper à long terme, omnivore, mains, outils, technologie, institutions, culture. La culture humaine s’élabore et se transmet grâce aux structures collectives et notamment à la longue durée d’apprentissage de l’enfance au sein de la famille. Certaines vulnérabilités disparaissent, par exemple l’homme n’a plus de prédateur naturel hormis lui-même et certains micro-organismes (et encore !) ; il a les moyens médicaux de réduire la souffrance ; les maladies infectieuses sont progressivement maitrisées. Les maladies dégénérescentes précédant la mort, nécessaire à la vie de l’espèce, restent invaincues, et le resteront probablement. Les outils humains contre les vulnérabilités en créent de nouvelles. On pourrait conjecturer que la somme des vulnérabilités est une constante. La vulnérabilité est le moteur des processus adaptatifs et donc du progrès.

5.        Les outils contre les vulnérabilités humaines individuelles ou collectives sont :
Vulnérabilités climatiques : les vêtements, les habitats, la consommation d’énergie, notamment l’usage du feu.
Vulnérabilité alimentaire : agriculture, élevage, diversité, réserves, commerce, transports, hygiène alimentaire.
Vulnérabilité sécuritaire : codes de convivance, habitat, défense du territoire, armée, police, administration, législation, Etat, diplomatie inter-Etats.
Vulnérabilité sanitaire : hygiène de vie, système médico-pharmaceutique, services publics de l’eau, des déchets, de l’énergie, organisation des secours, assurance maladie.
Vulnérabilité de la dignité de la personne : Etat providence (care), Etat de droit, codes éthiques, codes religieux, éducation civique, déontologie.
Vulnérabilité technologiques industrielles : normes de conception de fabrication et d’exploitation des installations, sécurité au travail, assurances.
Vulnérabilité face aux catastrophes naturelles : normes de conception et de réalisation des ouvrages. Education. Plans Orsec. Assurances.
Vulnérabilité face au risque de guerre ou au retour à la barbarie des individus et des sociétés : institutions internationales, police, culture, éducation, déontologie, contrôle du contrôle.

6.        Exemples toujours actuels de vulnérabilités individuelles, collectives, naturelles, anthropologiques, sociale ou technologiques.

+ En 2013, le nombre de migrants internationaux a atteint les 232 millions dans le monde.
45.000 en 2013, c'est le nombre de migrants qui ont risqué leur vie en Méditerranée pour rejoindre les rives italiennes et maltaises, selon un bilan publié par l'Organisation internationale des migrations (OIM) (dont pour l’Italie, 5.400 femmes, 8.300 mineurs dont 5.200 non accompagnés) 20.000 sont morts en mer dans les 20 dernières années.
Témoignage d’un instituteur : « J’ai vu la mère d’un élève dire en pleurant devant son fils (un peu trop agité, mais jamais insolent) : « J’ai traversé le désert à pied pour que tu ailles à l’école ».
 
+ Un réfugié est une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle ; qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que fin 2006, il y avait 8 661 994 réfugiés dans le monde.

+ La mortalité néonatale est de 2000/100.000 naissances vivantes au Soudan et 8 pour la France et 2 pour l’Estonie.

+ Infirmité, handicap. La population porteuse d’un handicap s'élève à 9,6 millions de personnes en France. En France, 15 à 25 millions de personnes vivent avec une maladie chronique ou un handicap. On estime que 650 millions de personnes sont handicapées dans le monde. La prévalence du handicap est estimée à 15% de la population mondiale.

+ Démence mondiale. Le nombre de personnes souffrant de démence dans le monde a augmenté de 22 % au cours des trois dernières années, atteignant 44 millions, d'après le rapport d'Alzheimer Disease International, ce nombre sera multiplié par trois d'ici à 2050. Quelque 135 millions de personnes seront ainsi atteintes de démence sur la planète, dont 16 millions en Europe de l'Ouest.

+ Le nombre de Français souffrant d’une pathologie mentale toucherait 12 millions de personnes sur 69 millions. Les pathologies mentales coutent chaque année à la France presque 110 milliards d’euros (On ne compte pas les folies de la finance…). Parmi cette dépense totale, la prise en charge médicale coute 13,4 milliards d’euros soit 8% des dépenses nationales de santé.

+ 13 000 personnes se suicident chaque année en France, soit 36 suicides par jour.

+ Dans les prisons françaises où sont enfermés 58 251 hommes et 2152 femmes, le taux de troubles psychiatriques atteint 78,5% des hommes et 73,7% des femmes.

+ La Seconde Guerre mondiale est marquée par la mort de 40 000 malades et handicapés mentaux en France du fait que « ces bouches inutiles » ne sont plus nourries. Ce qui traduit la fragilité de la civilisation. On pourrait également revenir sur les multiples autres crimes contre l’humanité de cette période qui traduisent la vulnérabilité non seulement des victimes mais aussi celle des vernis éthiques de la civilisation. La culture a été incapable d’empêcher le désastre de la civilisation notamment européenne et se réclamant chrétienne, mais pas uniquement elle. Citation de Primo Levi (1919-1987), déporté italien : « Si je dois dire la vérité, des monstres, je n’en ai pas rencontré, mais des fonctionnaires, oui. Ils se comportaient comme des monstres. » 

+ La maltraitance désigne des mauvais traitements avec brutalité et rigueur infligés à des personnes souvent dépendantes et sans défense.  Elle concerne la  maltraitance sur mineur, le harcèlement moral, la maltraitance des adultes, la violence conjugale , la maltraitance des personnes âgées, les châtiments corporels. Les statistiques des maltraitances ordinaires, aujourd’hui et près de nous, notamment sur les enfants, sont effarantes. Selon l’association L’enfant bleu, en France, aujourd’hui, quelque deux enfants meurent chaque jour suite à la maltraitance infligée par des parents. Une femme meurt tous les deux jours suite à des violences conjugales.

+ Bien des individus utilisent le pouvoir que leur donnent les institutions qui les emploient pour exercer une perversité narcissique ordinaire sur des personnes en situation de vulnérabilité et sans défense : prisons, police, maisons de retraites, institutions dites caritatives ou religieuses, milieu éducatif, hôpitaux, armées, administration bureaucratique, monde du travail. La perversité consiste souvent à rejeter une culpabilité ou la honte sur la personne vulnérable.

+ La honte dans son aspect social est illustrée dans le récent roman « En finir avec Eddy Bellegueule » d’Edouard Louis (21 ans). Garçon efféminé, Eddy était la honte de sa famille et l’objet de mépris et de dégoût dans tout son milieu rural et pauvre. Sa fuite de ce milieu l’a tout de même conduit sur les bancs de l’ENS. La honte sociale vulnérabilise, mais parfois aussi renforce, de nombreuses catégories de personnes ou leurs proches : homosexuels, illettrés, minorités visibles, immigrés, certains malades (MST, sida, maladies mentales, drogués), emprisonnés, déviants divers des normes dominantes.

+ Le coût économique des catastrophes naturelles et humaines en 2013, selon une estimation de l'assureur Swiss Re à Zurich est de 130 milliards de dollars.

+ Les systèmes économiques et financiers, comme le montre l’actualité, sont fondamentalement vulnérables. Ils peuvent être victimes d’instabilités systémiques dues à leur complexité ou aux terrains de jeux opaques qu’ils offrent aux prédateurs de haut vol.

+ Les systèmes technologiques les plus sûrs n’empêchent pas les risques de catastrophes et d’accidents d’origines naturelles (inondations, séismes, tsunamis, avalanches, glissements de terrains), d’origines humaines et technologiques (risques industriel, nucléaire, biologique, ruptures de barrage, chutes d’avions, pollutions,...), les risques de la vie courante (accidents domestiques, incendies, accident de la circulation. Selon Le Monde, les accidents domestiques sont responsables de 18.500 morts par an en France. Le nombre de tués dans des accidents de la route par an en France est 3.645 en 2012 et 16.445 en 1970, ce qui indique que la vulnérabilité d’une activité donnée est partiellement mais significativement maitrisable.

7.        Principes fondamentaux de réduction de la vulnérabilité dans les œuvres humaines : diversité, redondance, structures en réseaux, défense en profondeur, gestion de la complexité ou du chaos.

L’Ecclésiaste dans la Bible proposait déjà des principes de réduction des vulnérabilités.  4.9 « Deux valent mieux qu'un : car ils retireront un bon profit de leur labeur. » 4.10 « S'ils tombent, l'un peut relever son compagnon ; mais malheur à celui qui est seul ; s'il tombe, il n'a pas de second pour le relever ». 4.11 « De même, si deux sont couchés ensemble, ils ont chaud ; mais celui qui est seul, comment aurait-il chaud ? » 4.12 « Et si un assaillant l'emporte sur un seul, deux lui tiendront tête. Le cordon triple ne se rompt pas de sitôt ».

La diversité consiste à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. La redondance consiste à avoir plusieurs cordes à son arc ou avoir plusieurs moyens d’assurer la même fonction. Nos cinq sens et leurs interprétations, comme la douleur ou la peur, sont complémentaires pour alerter des divers dangers qui viennent de notre environnement. Nous sommes multi-sensoriels. Le cerveau élabore la synthèse des informations contribuant à la sécurité par la synesthésie. Dans les installations industrielles, la multiplicité des capteurs  pour la mesure d’un paramètre donné (température, pression, vitesse, etc.) assure la fiabilité des mesures. La structure en réseau, comme internet, fonctionne même lors d’une panne locale. 

 
+ La défense en profondeur est une structure imbriquée des moyens de défense à l’image des poupées russes. Le principe est mis en œuvre dans les installations de haute technologie comme les centrales nucléaires où des barrières successives diminuent mathématiquement et significativement les risques d’accident de dispersion de produits radioactifs.
Ce principe des poupées russes est en fait à l’œuvre depuis toujours dans la protection de l’individu contre les diverses vulnérabilités dont il peut faire l’objet : système immunitaire, peau, vêtements, habitat, famille, clan, communauté, Etat, nation, services public. Chacune de ces couches de défense assure à sa manière la protection contre des vulnérabilités spécifiques de l’individu. Ces systèmes comportent eux-mêmes des vulnérabilités qui peuvent se retourner contre les personnes : maladies auto-immunes, violences familiales, enfermement communautaire, violence d’Etat.

+ La gestion de la complexité ou du chaos est l’art de prendre des décisions, si possibles justes, en l’absence de vision complète d’une situation.

+ Le principe de précaution repose sur la prudence en l’absence de certitude. Le  principe de responsabilité a été développé par le philosophe allemand Hans Jonas (1903-1993). La culture de sécurité est l’alliance du savoir faire et du savoir être.
La gouvernance et la résilience des institutions (Etats, Europe, économie, entreprises, pouvoirs divers) relève de l’organisation et des procédures mises en jeu. Le principe de subsidiarité consiste à allouer la responsabilité d’une action à la plus petite entité capable de résoudre le problème d'elle-même. Cela implique des interactions  de niveaux hiérarchiques pyramidaux possédant des identités et des degrés de liberté propres. Le rêve d’une gouvernance mondiale est probablement une utopie qui comporte la grave menace de la captation du pouvoir par des groupes d’intérêts particuliers et prédateurs, comme le montre actuellement la mondialisation de l’économie et de la finance.

8.        Force de la vulnérabilité, vulnérabilité de la force.

+ Dans la fable de La Fontaine « le chêne et le roseau », le roseau plie mais ne rompt pas tandis que le chêne est emporté par le vent.

+ La taille d’un système est déterminante de sa vulnérabilité et donc de sa viabilité. Cette taille est spécifique à chaque type de système vivant ou technologique. Etre trop grand ou trop petit est source de vulnérabilité.

+ Les murailles gigantesques destinées à protéger les Etats et les nations sont efficaces à court terme, mais constituent certainement des vulnérabilités culturelles à long terme, par exemple :  Grande Muraille de Chine, Mur d'Hadrien, Mur d'Antonin, Mur des Fermiers généraux, Mur de Berlin, Barrière de séparation israélienne, barrière Etats-Unis-Mexique. Elles sont tôt ou tard frappées d’obsolescence.

+ Les Etats cherchent souvent à contrôler les moyens de communication voire à les interdire. Les réseaux satellitaires ou la simple débrouille permettent souvent de contourner ces interdits.

+ Le christianisme a intégré la vulnérabilité dans sa doctrine ; le Christ est né et mort dans le dénuement, les Béatitudes glorifient les faibles. Les « Pietà », ou Vierge de Pitié, est un thème artistique de l'iconographie de la peinture chrétienne représentant la Vierge Marie pleurant son fils, le Christ, descendu mort de la Croix.

+ Les religions contribuent à la fois à pacifier et à exacerber les conflits. Les persécutions religieuses sont encore nombreuses dans le monde. L’instrumentalisation par des lectures littérales de textes sacrés comme la Bible ou du Coran conduit aux exclusions et aux guerres de religions. Par exemple, la malédiction de Cham par Noé dans la Bible (« Qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères », Genèse 9,25) a servi à justifier l’esclavage des Noirs ou l’apartheid. Beaucoup (75 % ?) de persécutés religieux seraient aujourd’hui des chrétiens notamment en Chine, Corée du Nord et plusieurs pays musulmans. En 2013, il y a eu 2123 assassinats de chrétiens dans le monde, dont 1213 en Syrie, selon Portesouvertes.fr.

+ La démocratie, qui est le moins mauvais des systèmes politiques, selon W. Churchill (1874-1965) est en fait astable et fragile. Tout pouvoir doit comporter une part de vulnérabilité afin de le préserver de ses propres dérives. L’institution censée protéger la personne, peut constituer une menace à sa liberté avec sa tendance à chosifier les personnes. La démocratie reste le meilleur rempart contre les dérives violentes que sont la dictature, l’anarchie ou la guerre civile. Pensons notamment à l’actualité d’une partie du monde musulman. La vulnérabilité de l’individu profite souvent à renforcer son groupe d’appartenance. Le système capitaliste a intérêt à entretenir la précarité sociale.

+ La vérité est vulnérable. Elle est tributaire des jeux de pouvoirs.

+Les modèles de pensée, censés traduire la réalité et agir sur elle, sont toujours incomplets et relèvent souvent d’injonctions contradictoires, par exemple : croissance économique, emploi versus protection de la nature ou même liberté, égalité, fraternité.

+ La beauté est vulnérable. N’est beau que ce qui est vulnérable.
+ La bonté est vulnérable.
+ La poésie est vulnérable.
+ L’amour est vulnérable.
+ L’humanisme est vulnérable.
+ Les civilisations sont vulnérables. 
+ Les vertus sont vulnérables à plusieurs titres : ceux qui les pratiquent sont facilement attaquables, elles ne résistent souvent pas à une situation de crise, enfin elles sont souvent instrumentalisées.

+ Les boucs émissaires dans les sociétés (tête de Turc dans un groupe, minorités dans une société, personnages politiques ou institutions dans un mouvement populiste) peuvent être considérés comme des fusibles, qui le plus souvent servent à cacher les vrais problèmes. Ils constituent des vulnérabilités tant pour les victimes que pour ceux qui les maltraitent.

+ Les fusibles sur les circuits électriques sont des fragilités voulues destinées à protéger l’ensemble de l’installation.

+ La dissuasion nucléaire : la destruction mutuelle garantie, en anglais : MAD, pour Mutually Assured Destruction. Elle nécessite deux partenaires à la fois vulnérables et invulnérables. Vulnérables puisqu'ils peuvent mourir de l'agression d'un autre. Invulnérables car ils ne mourront pas avant d'avoir fait mourir leur agresseur, ce dont ils seront toujours capables quelle que soit la puissance de la frappe qui les fait s'effondrer. La simple existence d'arsenaux nucléaires constituant une structure de vulnérabilité mutuelle suffit, selon cette thèse, à rendre les partenaires infiniment prudents.

+ Les infrastructures et les populations des sociétés technologiques avancées (systèmes ferroviaires, routiers, électriques, d’eau, de distribution alimentaire, centrales nucléaires, télécommunications, etc.) sont éminemment vulnérables aux attaques militaires, c’est probablement une des raisons pour lesquelles les Etats avancés sont obligés d’éviter absolument tout conflit armé sur leur territoire.

+ Le « dissident de Wall Street » Nassim Nicholas Taleb (né en 1960) auteur de « Le Cygne noir » et « Antifragile » met en garde contre la fausse sécurité des modèles mathématiques de gestion des risques financiers et développe les principes de prise de décision en situation d'opacité stipulant qu’il vaut mieux savoir utiliser le chaos du monde que prétendre l'organiser. Dans Le Monde du 18.12.2013, il déclare :
« Les mathématiques scabreuses, qui sont utilisées dans ce dessein, n'ont pour seul but que de vous impressionner. Nous sommes dans un monde de plus en plus imprévisible et de plus en plus complexe. Et une certaine dose d'instabilité joue in fine un rôle protecteur en permettant les évolutions. Viser méthodiquement la stabilité peut, au contraire, aboutir à faire sauter un système : cela est vrai en économie comme dans d'autres domaines. 
L'architecture du système doit être conçue ainsi : le rang social devrait être d'autant plus élevé que l'on supporte le plus de risques pour soi-même. Le bon fonctionnement, c'est le principe de responsabilité. L'Etat n'est pas là pour protéger les puissants des conséquences de leurs erreurs. L'Etat doit être très fort pour protéger les faibles, mais laisser les forts en compétition.
Les régulations complexes ne marchent pas. »

+ La vulnérabilité constitue le fonds de commerce d’un vaste ensemble d’activités économiques, fort nécessaires, mais souvent détournées : assurances, médecine, sécurité, services publics, travaux publics, communication, médias. Elle est souvent instrument de pouvoir et donc aussi des dérives de celui-ci.

9.        Vulnérabilité de la nature par l’activité humaine. Extinctions naturelles des espèces, mais aussi  extinction de l’holocène massive due à l’activité humaine. Changement climatique.

10.      De nouvelles vulnérabilités pour l’homme émergent des progrès des technologies et des organisations humaines : système libéral (inégalités, pauvreté); instabilité politiques par la mondialisation, guerres pour les ressources naturelles, migrations massives de populations, faillites des Etats, faillites des religions, nouvelles maladies ou recrudescence (perturbateurs endocriniens, démence sénile, cancers, maladies mentales). Les NTI, les nouvelles technologies de l’information, dont la puissance de calcul et de stockage de l’information double tous les 18 mois et les flux tous les six mois, constituent une transformation anthropologique majeure.
Elles sont essentiellement bâties autour de la toile, du cloud computing, des réseaux sociaux, du big data, des moteurs de recherche, de la mobilité et des milliards de objets connectés. Elles apportent certes des avantages immédiats à l’humanité, sans quoi elles ne se développeraient pas, mais elles portent en elles des menaces pour l’humain qu’il conviendrait de ne pas perdre de vue : nivellement des cultures, perte de l’intimité, manipulation de masse, dérive sécuritaires, etc. L’industrie des NTI est elle-même fragile car elle demande des investissements considérables de sorte qu’elle engendre des concentrations de pouvoir non moins considérables et des monstres tentaculaires, aux pieds d’argile, comme Google, Microsoft, Apple, Facebook, les systèmes financiers, ou certains services sécuritaires ou bureaucratiques des Etats.

+ La mondialisation amplifie deux facteurs de vulnérabilité des systèmes économiques, politiques et sociaux : la compétition entre tous les acteurs et l’émergence de risques aléatoires dus aux interactions multiples des acteurs. Le monde n’est pas déterministe, contrairement à ce que pensait la science classique. Il ne s’agit plus seulement de stabiliser ou d’optimiser les systèmes mais de savoir faire face aux crises inattendues.

11.      Les voies et voix de l’éthique de la vulnérabilité.

+ L’article 8 de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, adoptée par l’UNESCO en 2005, est consacré à la vulnérabilité humaine. Les progrès des connaissances scientifiques, des pratiques médicales et des technologies contribuent à protéger le bien-être de la personne. Mais dans le même temps ils ont créé de puissants mécanismes d’exploitation et de dégradation. Le débat sur la vulnérabilité humaine devrait sensibiliser tous les niveaux de la société et rappeler à chacun d'entre nous l’obligation fondamentale de veiller les uns sur les autres, en particulier sur les êtres les plus vulnérables, sachant qu'un jour nous pourrions être l’un de ceux-là.

+ Le concept de responsabilité est développé dans les  œuvres des philosophes  Paul Ricœur (1913-2005), Hans Jonas (1903-1993) et Emmanuel Levinas (1906-1995). Le vocable «souci de l’autre » exprime diverses formes de responsabilité vis-à-vis de la vulnérabilité humaine. Chez Levinas, la responsabilité pour autrui, considéré comme principe d’individuation, détermine un «concernement » pour l’autre. Elle accompagne le processus de maturation de l’enfant, selon le pédo-psychiatre anglais Donald Winnicott (1896-1971). Le souci de l’autre se traduit chez le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) par une sympathie active envers autrui, à l’origine d’une éthique de «bienveillance active et de respect » : Kant fait de la bienfaisance envers l’autre dans la détresse, un devoir. C’est au sein de la cellule humaine élémentaire, la famille, que se réalise l’hospitalité sacrée, qui accueille le plus faible et le plus vulnérable. Le pacte parental et la bienveillance qu’il implique, représente la base de la responsabilité envers tout être humain indépendamment de ses déficiences ou de ses capacités.

+ Après 27 ans de prison, Nelson Mandela (1918-2013) s’était fixé comme mission de « libérer à la fois l’opprimé et l’oppresseur ». En effet « un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, ... l’opprimé et l’oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité. »

+ Le care est l’activité du soin donné à autrui. Ce concept de services à la personne se rattache à l’histoire de l’hôpital déjà fort ancienne. Dans les années 1990, à partir des mouvements féministes anglo-saxons, le concept de care a renouvelé la réflexion et les pratiques sur les professions de soins telles que la médecine, le soin aux handicapés, l’encadrement de la vieillesse, l’aide à domicile, voire la procréation médicalement assistée ou la question de l’avortement. A qui revient la tâche de mise en œuvre du care ? Aux pouvoirs publics ? À la société civile ? Au secteur privé ? Qui doit en assurer le coût ? La psychologue Pascale Molinier, (née en 1959) dans son ouvrage « Le travail du care » plaide pour une société où « le care serait au centre des préoccupations de tous et non plus refourgué aux moins diplômés ». Elle note, en effet, dans ses enquêtes que les signes d’empathie pour les vieillards dans les institutions viennent souvent des femmes de ménages et des aides-soignantes. Elle note le fossé grandissant entre ceux qui font le travail de soin et ceux qui le pensent.

+ Le chercheur Albert Jacquard (1925-2013) à propos de la vulnérabilité du climat : « En fait, les pénuries les plus menaçantes concernent non pas la nourriture, mais des biens que les économistes d’autrefois considéraient comme sans valeur, car inépuisables, l’air et l’eau. Le mode de vie occidental, en se généralisant, a fait apparaître la vulnérabilité du climat, dont ces deux biens dépendent ; loin d’être inépuisables, ils sont à la merci de la pollution que notre comportement étend comme un suaire autour de la planète. »

+ Bernard Bresson, président de la Fédération de L’Arche de France : «  Les communautés de l’Arche (accueillant des handicapés mentaux), fondées par Jean Vanier (né en 1928), nous apprennent que c’est la vie partagée avec les personnes fragiles qui nous aide à accueillir notre propre vérité, avec sa part de ténèbres et sa part de lumière. »

+ Le président Obama vient sagement de dire dans son discours sur l’état de l’Union que la force armée n’est pas seule garante de la sécurité, que l’Amérique ne doit pas se laisser conduire sur le terrain où les terroristes veulent la mener et qu’il faut aussi négocier avec les moins puissants que soi.

+ Le grand défi de l’humanité est la conciliation de la sécurité et de la liberté de la personne. Rester libre, c’est rester vulnérable.

+ «Tu seras aimé le jour où tu pourras montrer tes faiblesses sans que l'autre s'en serve pour affirmer sa force. » Cesare Pavese (-1908-1950)

+ A travers la vulnérabilité chacun de nous, de notre corps, de notre environnement, la vie fait l’expérience d’elle-même, elle se construit, elle s’auto-organise. La vulnérabilité n’est pas seulement un mécanisme darwinien de sélection des plus aptes, elle tisse les liens profonds de notre humanité.




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Propos entendus


+ Etre considéré comme vulnérable peut-être insultant.
+ Les sociétés organisées sont plus vulnérables qu’autrefois.
+ L’humanité est un rapport à soi tandis que la vulnérabilité l’est à autrui.
+ Nous nous sentons souvent impuissants devant les défavorisés. L’humanité consiste à en faire nos égaux, à leur donner la parole.
+ La vulnérabilité montre le chemin de l’humanité.
+ Certains individus se mettent en situation de vulnérabilité afin de susciter la compassion.
+ «  Celui qui sauve un homme, sauve l’humanité toute entière ».
+ La dédramatisation voire l’humour permettent parfois de restaurer le rapport d’égal à égal.
+ Pas de puissance sans faiblesse, pas de faiblesse sans force.
+Il y a danger de perdre l’esprit critique à ses laisser influencer par des gens se présentant comme forts. La vulnérabilité intellectuelle est aussi dangereuse que la vulnérabilité physique.
+ La vulnérabilité est souvent exploitée : marchands de sommeil, de sécurité...
+ Au niveau de la société les forces et les faiblesses s’équilibrent. A l’échelle locale, le faible est souvent écrasé.
+ Quand on fait confiance aux faibles, cela peut leur redonner de la force. Mais certains se défendent.
+ La compassion peut être mal interprétée.
+ La politique parfois exploite la vulnérabilité au lieu de la soulager.
+ Notre société est bien malade.
+ Notre humanité c’est de soulager lorsque c’est possible. Mais, attention, il faut reconnaître l’autre comme notre égal.
+ Il y a risque d’exploitation politique, économique, sociale ou morale les vulnérabilités.
+ Nous sommes tous à a fois forts et vulnérables en différents aspects de notre personne.
+ Nous sommes tous vulnérables face à la mort.


+ C’est une erreur de croire l’autre et soi-même invulnérables.
+ L’ordre dans nos sociétés organisées les rend également vulnérables.
+ On surprotège les enfants.
+ On se protège contre la société.
+ La vulnérabilité nous rend-elle vraiment humains ?
+ Humanité et vulnérabilité sont deux mots qui prennent du sens l’un par l’autre.
+ Goebbels, sensible à la musique de Bach, n’en était pas plus humain.
+ L’humanité c’est entre moi et moi.
+ « Il est préférable de subir une injustice que de la commettre », Socrate.
+ La vulnérabilité vient de l’extérieur, l’humanité de l’intérieur.
+ Les êtres invulnérables portent un masque.
+ « Le vulnérable ne peut pas se permettre d’être humain », Toni Morrison ?
+ La rencontre avec le miséreux me donne un sentiment d’impuissance.
+ Notre fuite réussie en 1942 nous a donné un sentiment d’invulnérabilité. La population bretonne nous a protégés.
+ En 1942, mes parents et moi, dans le ventre de ma mère, avons été pris en charge et hébergés spontanément par des inconnus quelque part dans une gare d’Asie centrale. Mes parents venaient d’être libérés d’un goulag soviétique complètement démunis. La solidarité humaine existe.
+ Il ne peut pas exister de « contrat d’indifférence », c’est-à-dire  de renoncement à l’aide mutuelle.
+ L’argent de l’aide humanitaire est souvent détourné.
+ La parabole du bon Samaritain, ne porte pas de jugement sur les deux hommes pieux qui sont passés à côté de l’homme blessé sans le secourir.
+ Trop d’idéologie tue l’idéologie.
+ Aucune idéologie n’a fait la promotion de la dignité humaine.
+ L’humour tire d’embarras mais pas d’affaire.
+ La dédramatisation est une force.
+ Toute puissance est vulnérable et réciproquement.
+ Il y a des laissés-pour-compte toute la vie.
+ Les puissants cachent leur vulnérabilité.
+ Les idées sont vulnérables lorsqu’elles perdent de leur force de conviction.
+ Les bonimenteurs et publicistes s’attaquent à la vulnérabilité des gens.
+ Force et faiblesse procèdent de l’équilibre du monde comme la lumière et les ténèbres.
+ « Le cerf-volant monte plus haut contre le vent », proverbe anglais.
+ Il faut accepter de s’ouvrir à l’autre.
+ La grande vulnérabilité, c’est la mort.
+ Lors de notre passage sur terre, nous nous relions les uns aux autres.
+ La société produit de nouveaux risques et dangers. Il faut dépasser les rapports de force au profit de rapports de flux, selon Joël de Rosnay.
+ La société est humaine si elle mutualise les risques.
+ Selon Hanna Arendt, la notion de juste et injuste est ancrée en l’homme.
+ Les vulnérables sont parfois ingrats.
+ L’altruisme est une construction sociale.
+ Humanité et vulnérabilité dépendent des circonstances de la vie.
+ Le mensonge est vulnérabilité.
+ Aider donne le sentiment d’exister davantage.
+ La société traite mal les handicapés.
+ « La paix commence lorsque je considère que celui qui est devant moi est exactement comme moi ». 


+ La vulnérabilité est relative, l'humanité est absolue, immédiate, c'est une affaire entre moi-et moi-même, de soi entre eux.
+ "Le prochain n'est pas un phénomène, et sa présence ne se résout pas à une présentation". Lévinas
+ "Le visage du prochain me signifie une responsabilité irrécusable, précédent tout consentement libre, tout pacte, tout contrat". Lévinas
+ "Chacun est de nous est coupable devant tous, pour tous et pour tout, et moi plus que tous les autres". Dostoïevski dans les Frères Karamazov
+ La conscience de la vulnérabilité participe à la conscience de soi.
+ La vulnérabilité sociale nous propulse vers les autres et vers l’action.
+ Assumer sa vulnérabilité est une force.
+ Etre humain, c’est rester accessible au malheur des autres.
+ L’Etat doit protéger les citoyens qui doivent pouvoir le contrôler.  
+ L’humour rend invulnérable...

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Poème
Ce texte de Jeannine Dion-Guérin et lu par elle, fait partie d'une suite destinée à un livre d'artistes avec le peintre américain Casimir Farley à paraître:

Janus, le dieu aux deux visages

Et si l’homme se devait
d’assumer son double
d’une face l’autre modelée
aimantée vers la lumière

ou sans transition
par ses contraires tourmentée

Et si l’ombre ne devait
se révéler que par la lumière

la lumière par l’ombre
tous fantômes sublimés

Et si cette parcelle divine
tant convoitée devait puiser

 son eau et sa soif d’unité
dans le chaos des origines

Jeannine Dion-Guérin
           inédit